jeudi 25 février 2010

"That's it"

Rencontre avec le légendaire Tony Allen qui donnait un concert à Nice, jeudi 4 février. Celui qui, avec Fela Kuti, a inventé l’Afrobeat, a régalé de ses beats syncopés le public du Cedac de Cimiez en liesse. Un peu avant le concert, nous avons eu la chance de le rencontrer, et lui avons posé quelques questions.


Comment expliquez-vous le succès de l’Afrobeat ?

(L’intéressé fait la moue… Il faut dire que la question a du lui être posée des milliers de fois… Nous précisons).
Est-ce que Fela, de qui vous étiez le batteur officiel, est comparable à Bob Marley. Est-ce qu’ils partagent tous deux, en plus du succès, ce genre d’universalité revendicatrice ?

Non, c’est un peu différent. C’est vrai qu’ils allaient tous les deux dans la même direction dans leurs discours, sur ce qui était bien et mal. Une seule et même direction philosophique, mais seulement Fela mentionnait des noms, il pointait du doigt untel et untel, alors que Bob Marley ne l’a jamais fait.
Vous avez dit que l’Afrobeat était pour vous un lieu d’expérience. Aujourd’hui encore vous ne cesser d’expérimenter en multipliant les collaborations. Ces expérimentations, c’est ce que vous recherchez dans la musique ?

Je laisse la musique venir à moi et je joue. L’Afrobeat s’impose ainsi à moi. Je m’inspire de la musique autour de moi.

Pourquoi la batterie ?

Je ne sais pas jouer d’autres instruments. J’ai essayé le clavier mais ça n’a pas marché. La batterie m’a appelée quand j’étais enfant. Personne ne voulait en jouer. De mon temps, tous les autres voulaient jouer devant les autres sur la scène, être au premier plan. Bonne chance à eux. La batterie est un instrument de second plan. Moi, j’ai choisi la ligne arrière. La batterie c’est comme dans les fondations d’une maison, sans elles, tout s’effondre. La musique disparait. Ainsi, c’est un instrument primordial.

Personne ne se focalise sur le batteur. Il est difficilement imaginable d’avoir un leader en deuxième ligne. Du coup, la plupart du temps, les batteurs ne chantent pas, Phil Collins a essayé mais très vite, il a arrêté de jouer. Moi, cela m’est égal, je suis bien où je suis sur scène.

Quels batteurs vous ont inspiré ?

Art Blakey si je parle jazz, mais il n’y a pas vraiment de batteurs qui m’ont inspiré et je ne me vois pas parler de musiciens en particulier qui m’auraient donné de l’inspiration. J’ai créé à partir de moi-même. Si l’inspiration est venue c’est à partir de la musique dans sa généralité.

Etes-vous encore engagé dans votre pays, le Nigéria ?

Oui, chaque fois que j’y retourne, j’essaye d’aider le mieux que je peux des musiciens que j’apprécie. Je ne peux pas tous les aider mais j’essaye de faire de mon mieux.

Comment expliquer qu’il y ait si peu de groupes d’Afrobeat ?

Le Nigéria, c’est le berceau de l’Afrobeat et il devrait y avoir beaucoup de groupes, mais le problème c’est que personne ne veut en jouer car cela ne rapporte pas d’argent. Tout le monde veut faire du hip hop pour gagner de l’argent. Du hip hop ou de la Rn’B, ils n’ont que ces mots là à la bouche.

C’est dommage !

Oui, évidemment ! J’essaye de leur parler mais ils ne m’écoutent pas. Ils ont une autre mentalité. Ils ne comprennent même pas de quoi je parle. Je leur dis de jouer du hip-hop selon leur propre « beat », leur propre rythme. De ne pas essayer de copier les américains car on ne peut pas les battre là-dessus. Ce n’est pas une compétition. Vous ne pouvez pas enseigner aux oiseaux comment voler.

Mais à l’opposé, des grands musiciens américains comme David Murray, ou Jamaïcains, comme Ernest Ranglin, sont venus en Afrique pour réaliser un album, pour retrouver leurs origines.

Ernest, c’est un musicien très intelligent. Un expert. Un compositeur. J’ai fais un album entier avec lui (« Modern answers to old problems »). Je le voyais écrire des partitions pour tous les autres musiciens sauf pour moi. Alors je lui ai demandé : « Et moi ? » Il m’a répondu de faire ce que je sais faire. Il m’a donné la liberté. That’s it !

Propos recueillis par Julien Camy et Rafael Fardoulis

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